Friday, August 14, 2009

Tuesday, October 21, 2008

DE LA MUSIQUE NOM DE DIEU!

J'espère mettre de ma musique bientôt. Je vais faire une refonte complète de mon blogue bientôt. Ça va être vraiment malade.

Tuesday, June 3, 2008

Des textes

Textes dans l'eau d'ordre particulière

Si j'aurais

La première fois que j’ai ouvert les yeux
je ne voyais rien
J’ai poussé un grand cri d’effroi
Il faisait froid
J’étais vêtu d’un long vert blanc

La vie m’a alors caressée
D’une grosse calisse de claque
Et, je l’ai respiré
Cette première fois
Où au lieu d’un grand verre de jell-O
J’ai ingurgité de la pollution

Mais au moins ils m’aimaient
Déjà
Sans même me connaître

Si j’aurais pu choisir
Je pense que je serais resté au chaud
À manger par le nombril
C’était moins compliqué


Partager l'oublie
En attendant Golo
Je prie pour que des roches te tombes sur la tête
Pleure, noir dégoût et sang
Voici la rançon du tout puissant

Mais nul ne vient à point à qui sais le prendre
Car le mot est juste et la belle est prière
Sans savoir pourquoi je demande à qui

À qui la chance de pleurer sans larme
Pour un garçon qui a déjà trop mourut
Sans qui à quoi qui sais attendre
Mais la pleine lune sait qu’il ira au vidange
Car Nul autre être n’A jamais connu le désastre
De garnir un frigo déjà plein d’au revoir

Et le garçon de table fait la grimace
Car une fois pour toute il est convaincu

Malgré les heures qui passent
Et le tourniquet qui te salut
Il faudra un jour se décider

À qui la chance


Sous la lumière
Délicieuse mort
Savourez le moment,
Il est trop long pour en avoir une idée
Quoi que sans savoir ont peut souvent
Dans le noir il pleut souvent

Pendant ce temps
Croire au extra-terrestre c’est une chose
En croiser un, s’en est une autre

Oubliez le présent
Pendant ce temps…

À qui mieux mieux
Nul ne sert à penser
Il faut beaucoup plus de courage
Sans quoi la mer monde ne sait plus où donner de la tête
Mais elle s’en sortira, elle est faite forte


Autoportrait I
Salut, ô salubre sauterelle
Toi qui avales l’amont d’un point de mire
Et qui chavire le temps en un clin d’œil

Perçois l’effort qui ordonne la clarté
Qui éteint la funeste fenêtre qui tue

Oublie les dames aux sourires délabrés
Je vais marchant les poignets oubliés

L’objet avance, avance et recule
L’indécision d’une identité bleue comme neige
Persiste à croire que le vrai a raison

Mais l’organigramme ne trompe jamais
Les statistiques le disent
Nous nous trompons presque toujours



the hospital is on fire
Craindre l’espoir c’est avoir raison.
Aimer l’amour c’est un pléonasme.
Soupirer le gain c’est entendre le ruisseau.
« Shaker » des mains après 4 cafés, c’est normal.

Fondre en gouttes quand ça va bien.
Se recroqueviller devant le soleil.
Oublier les sons et taper très très fort.
Mordre les lèvres d’un lapin tout blanc tout blanc.

Les politiciens sont sans vertus.
Ils n’ont pas appris la politesse.
Le couteau, ça va à gauche.
La fourchette, ça va à droite.

Mais la foi durcit le marbre.
Et la couleur n’a rien changé.

L’éternelle question demeure rose.
À quand les Océans rouges et les cris retentissants?


Marcher mes maux
REVOLT
Désamparé par ce bleu rose
Il faut crier la mort aux trousses
Révolter le poing et perdre ses dents
Mordiller l’Espoir et gambadez nu

La barbe à moitié pleine et les yeux frémissants
Le ventre bombé et la tête pleine à pleurer
Écrasant la marque du sombre seigneur éphémère
Sida ou pas, j’y vais

Une bataille non dite et un carnage jaune
Un carnet de voyage rempli de pages
Et une morbide révolution tranquille

À quand les feux tournoyants dans l’espace convaincu
À quoi bon perdre quand on peut participer
À quoi ça sert ?

Ça sert à rien je connais déjà le chemin
Entre l’ombre et la lumière
J’ai jamais eu besoin qu’on me tienne la main
Quand j’ai eu à traverser le désert.



(Sans Titre)
Je voudrais être un journal intime
Qui crie aux lions :
« Je croyais être un éléphant de nuages »,
Quand j’ai crié aux étoiles de retenir leur souffle

Mais tout y est
Rien à craindre
Sauf peut-être l’essentiel
Du bleu de la Mer
Et des yeux des petits criss

Une plage blanche et un coeur en plaine
Un tourbillon de gêne
Et un sourire trompeur (de Elles)

Car quand on pleut on rit
Car oublier c’est pardonner aussi
Mais le soleil n’oublie jamais
Le regard de ceux qui gagnent
À être de ceux qui sont
L’espérance des oiseaux
Et le souffle de la terre



Sans le mot la cause n’a plus de sens
Une race blonde aux yeux blancs
Crie devant des oiseaux sans Faim
Ils pensent leur bras d’une couleur orage
Et ordonne la Mort sans compter

Les bourreaux épargnent peu
Ils rient beaucoup
Ils pensent peu
Ils rient trop

La crainte étant son voile pourpre
Sur la fureur des enfants juifs
Elle les prend dans la main
Et les fais tournoyer
Dans le ciel opaque
Qui crient au secours

Mais rien ne viendra
Sinon le bruit de la guerre
Et le perpétuel retour de la haine


Cycle
Parlons-en du silence
Assis en petite boule dans une boîte
Un nain se croit au paradis.
Il regarde les yeux d’un être
Qui se pense le paradis
Il lui demande sans cesse : S’tu fait là?
Mais le paradis ne répond que très peu

Grizou le chat des hommes
Qui as déjà cru entendre un chat parler
Qui as tordu les mains d’un homme ?

Citation intéressante
N’ayez pas peur,
Vous n’êtes pas seul à ne pas comprendre.

La question
Au début il n’y avait que cela
Un peu après, tout disparu
Mais le mystère demeura intact
Car le seul survivant, c’était moi.

La réponse
Un fou qui sait quié fou est moins fou qu’un fou qui sait pas quié fou

Un peu de Sérieux
Sert moi cher enfant
Car je n’ai pas peur des hommes et de leurs regards
Croit moi petit homme
Tu t’es déjà fait bien assez mal

Mais le pendule continue son petit bonhomme de croix
Et croise un nain dans une boîte.

En faim
Avez-vous déjà imaginez tous les êtres humains, sauf trois-quatre, se tenant l’un contre l’autre au milieu du vide ? Moi je suis certain que les trois-quatre qui restent font sauter une bombe dans le tas.



Crier en silence
Un jour lors du levée de la lune ou du ciel
Vais-je apprendre à souffler mes yeux sur ce monde
Car un arbre mort s’est déraciné de ma langue
Et me permet de garder un silence morne

Les plumes d’un être divin flottent sous mon nez
Mais mes vaines vertes d’éfforcent et s’éffondrent
Mais mon coeur rage et me prend par la main gauche
Me ramenant sur la mer infini de l’art


en mirroir de moi
Un invertébré pense seul sur une roche
Il déboule finalement en bas de la roche
Mais sa coquille pense à sa place
Et en bout de ligne personne ne répond

Mais les secousses sont très vives
Et le paradis est sur le neutre
Peut-être parce que personne n’Y croit
Peut-être pas

Mais tout bonnement le bonhomme 7 heure lag
Et arrive deux heures plus tard
Les enfants, qui ne se sont pas endormies
Finissent par finir leurs biscuits et sortent un couteau

C’est ainsi que commence la guerre
Quand les enfants oublient de jouer avec leurs corps
Et décident de bouffer tranquillement des biscuits
Au lieu d’aller dormir


(Sans Titre II)
Quand la rage brûle en dedans
C’est le temps d’ouvrir la porte
De foncée dans la cage
Et éteindre tout sur ton passage

Laisser la lumière entrain
Et confondre ses idées avec les autres

Ce n’est pas le temps de fuir
Mais bien de placer
Un mot devant l’autre
Et de recommencer le débat


un oubli
Prendre le temps de mal réfléchir
Oublier où l’on en est
Et recommencer à lire la page

Se promener dans de multicolores couloires
Chauffer la vie à max
Et retourner au marché

Ouvrir une page dans sa tête
Imaginer l’autre
Jeter le kleenex

Embrasser le front
Donner la main
Fermer le cercueil

Pleurer pour soi



Je tu il nouvelles
Pour que le sens ne devienne qu’un
Qu’un homme
Pour que le vide dise une fois pour toutes
Ça y est, that’s it, je ferme boutique

S’il fallait qu’un de ces cartes…

Il paraît que si on fait l’âme mort assez longtemps
Il finit par tomber des flocons de pluie
J’ai, mais essayé
Faut voir…

Il n’en reste pas moins que les dés de la neige
Étaient bien réfléchis
Il fallait seulement dimanché

Un bon jour un homme ou une femme se lèvera
Dira de sa voix rouge (ya plus de chance que ce soit un homme dans ce cas là)
Ici gît le dernier des Pense Froid
Et plus personne n’y croix (quoi)



Je garde la foi
Pourri seul contre le froid
Il aurait phallus
L’autre foi d’après
Le déjeuner n’y était plus

Quand bon nous semble, essouflé d’agir.
Alors, le temps se cherche en marge

Puis… plus rien…

Encore une foi je dis à Dieu
Mange ma main

Si seulement quelqu’un pouvait le voir
En or serait un coeur net

Mais il va phalloir patiencer
Manger notre main

Une foi pour tout et ça ira



Un autre balbutiement
Pour le peu que je sais
Il n’existe rien de faux
Seulement du tort

Pour la vie que j’ai voulue
Il ne reste que les gouttes de larmes
Qui ont versé tout leur sanglot

Un mois plus tard…

Si l’espace devient le vide
Le vide devient la mère

Ainsi soit-il


Un soir de mer
Un ciel homme ne pleut tout froid
Ne pleut le soir
Ne pleut qu’espérer

Par miel et mer
Un ciel femme ne pleut le voir
Ne pleut tout plaire
Ne pleut d’espérer
À deux mains

La faim n’est ce qu’elle sombre
Elle est bien plus
mi-vide mi-pleine

Elle complète



L'histoire d'une âme en attente
Le temps presse et la vie aussi
La seule chose qui nous reste
c’est l’espace d’aimer

Le suivant

Une autre personne espère en moi
C’est quand même quelque chose
Mais pour le peu qu’il nous reste
Aussi bien en profiter
Puisque le soleil n’a jamais su compter jusqu’à trois



Moment d'Inconnus
— Madame, madame, j’ai perdu le nord, vous ne l’auriez pas vu ?

— Non, désolée mon petit garçon, moi aussi je l’ai perdu, hier.

— Comment ça, si tard ?

— Tout allait si bien…

— C’est possible de vivre sans le nord, vous pensez ?

— On dirait.




Organisation criminelle
Sorti de nulle part
un homme de soie
Une fois l’opération terre minée
il regarde
Ce sera tour à tour pour un jour lui

Si le silence explose enfin




L'éloge de la divagation
Se laisser porter par le vide
Souffler en vain de petits mots
Toucher des doigts l’espoir de rien
Et en oublier le sens
Par extraits

Soutirer de soi les images perdues
Les crier doucement
Sans même s’en rendre compte
Souvent

Rester intact par défaut
Cherchant en vain l’inébranlable
L’être

Je pense donc je freak
Des fois

Thursday, April 19, 2007

S'autodétruire (encore)

L'immense vide se condense
Et plonge son regard en moi
Je m'autodétruis
L'angoisse monte
Invisible, inaudible, inodore
Je m'autodétruis
Un cercle, un cercle, un cercle
Je m'autodétruis
L'extase puis la rage
Je m'autodétruis

Le néant devient nos vies
Copié collé d'idéals construits
La peur d'être ce que je suis
Moi, ce soir, je m'autodétruis (encore)

Les puits ont un fond
Je le sais, j'y suis tombé
Je m'autodétruis
Les marquent de mes ongles
Y ont laissé trace de ma vie
Je m'autodétruis
Le temps, le temps, le temps
Je m'autodétruis
La crainte du Ça
Je m'autodétruis

Le néant n'est pas infini
Je l'ai rempli d'idéals construits
La peur d'être ce que je suis
Moi, ce soir, je m'autodétruis (encore)

Friday, April 6, 2007

Le débat entre libéraux et communautariens

INTRODUCTION
Dans un article intitulé « L’illusion du libéralisme », et paru le 19 mars 2007 dans le journal Le Devoir, le généticien et philosophe Axel Khan décrit le libéralisme de manière peu nuancée et visiblement péjorative. Il écrit : « la pensée libérale [...] repose sur la conviction que l’homme agit avant tout en fonction de ses intérêts. Et que le libre cours des égoïsmes individuels est in fine garant du mieux-être collectif et du progrès ». Un peu plus loin il poursuit : « la victoire des plus aptes et l’élimination des inaptes sont censées constituer le moteur essentiel du progrès qu’il ne faut perturber à aucun prix, [...] dans la logique commerciale, toute politique d’entraide est contreproductive ». Avec ces quelques lignes, il me semble évident qu’il existe au sein de la communauté francophone une confusion étonnante entre néo-libéralisme économique, libéralisme classique et libéralisme politique. Les positions libérales défendues par John Rawls dans Théorie de la justice et plus tard dans Libéralisme politique, ne semble avoir rien en commun avec le libéralisme dépeint par Khan. En effet, Rawls y défend deux principes de justice. Le premier principe assure les libertés civiques et politiques pour tous, le second limite les inégalités de manière à ce qu’elles ne soient acceptables que dans la mesure où elles maximisent la situation des plus démunis. Cette politique redistributive de Rawls est, en effet, contestée par un philosophe comme Nozick, qui soutient que les gouvernements doivent respecter les libertés civiques et politiques de base, ainsi que « le droit aux fruits de notre travail, tel qu’ils sont issus du fonctionnement de l’économie de marché ». Par conséquent, les politiques de redistributions, comme le principe de différence, imposent aux riches de venir en aide aux pauvres, ce qui viole leurs droits. Toutefois, cette position dite libertarienne ne représente pas la majorité des penseurs libéraux modernes. La critique la plus intéressante faite au libéralisme vient plutôt des philosophes communautariens. Le débat qui oppose ces deux courants de pensée est souvent cité par les auteurs comme le débat le plus important en philosophie politique contemporaine. Je me propose donc de le caractériser et d’essayer de l’évaluer. Pour ce faire, je propose d’abord de camper les positions du libéralisme classique et des communautariens notamment à propos de leurs conceptions de la personne, de leurs visions du juste et du rôle de l’État. J’esquisserai ensuite les rapprochements possibles articulés par John Ralws et Charles Taylor, pour finalement, en guise de conclusion, émettre plus clairement mes idées.
La conception de la personne
Une part importante du débat entre libéraux et communautariens est attribuable à leurs conceptions opposées de la personne, et sur la manière de comprendre le rapport que nous entretenons avec nos propres finalités. La philosophie libérale classique conçoit les individus comme des personnes morales libres, donc capables de réviser leurs finalités, valeurs et projets. Cette conception substantielle de la personne a souvent été accusée, par les philosophes communautariens, de ne pas suffisamment prendre en considération la nature « intrinsèquement sociales de l’individu ». En effet, selon la philosophie communautarienne, l’être humain se définit en grande partie par son appartenance à une communauté. L’identité morale de l’individu dépend donc, selon eux, des finalités, valeurs et projets de la communauté dont il est issu. Ces deux façons divergentes de concevoir la nature humaine ont des répercussions importantes sur la manière de concevoir l’organisation de la société et les sources de revendications valides. La société libérale part de l’idée d’association volontaire. Les sociétés sont donc des associations entièrement volontaires et contractuelles, c’est-à-dire le résultat de la volonté. Ainsi, pour les libéraux, la seule source de revendication valide est l’individu. À l’inverse, puisque pour les communautariens l’identité individuelle dépend de la communauté, on parle plutôt d’une communauté de communauté. On conçoit alors qu’il y a une conception du bien partagée par tous les membres de la communauté englobante.
Le juste et le bien
Une autre question au coeur du débat entre les communautariens et les libéraux est de savoir s’il y a, en société, une primauté du juste sur le bien. Le libéralisme, tel que formulé par John Rawls dans Théorie de la justice, croit possible de fonder une société à partir d’une pluralité de conceptions du bien, en cherchant à obtenir un accord sur le juste. Selon Rawls, les principes de justice peuvent être trouvés indépendamment de toutes conceptions du bien, grâce à une nouvelle forme de contractualisme qu’il nomme la position originelle. La position originelle est une condition hypothétique, non historique, qui demande aux personnes morales d’ignorer leur situation socio-économique lorsqu’elles délibèrent sur la conception de la justice qui convient à une société bien ordonnée. La capacité, déjà évoquée, des personnes morales de se représenter comme libre, distingue le contractualisme rawlsien des théoriciens du contrat classique. En effet, contrairement aux classiques, Rawls ne considère par les individus comme réellement libre, mais capable de se représenter comme tel. Le libéralisme rawlsien se veut donc universaliste, au sens où chaque individu peut s’imaginer dans la position originelle et acceptant les principes de justice. Cette notion sera relativisée par Rawl lui-même dans son ouvrage Libéralisme politique.
Le communautarisme lui repose sur la conviction qu’il faut, pour fonder une communauté ou une société consistante, davantage qu’une concession sur le juste, à savoir un accord sur le bien. L’appartenance à une culture semble être pour les communautariens la condition nécessaire pour qu’une société soit « juridiquement et politiquement harmonieuse et cohérente ». À cet égard, on pourrait donc dire qu’à l’inverse du libéralisme, la philosophie communautarienne prône un particularisme, puisque chaque conception du bien dépend de la communauté. De plus, comme le dit Michael Sandel : « les communautariens résistent à l’idée qu’il soit possible de donner un sens à nos obligations morales et politiques en des termes qui seraient volontaristes et contractuels ». Puisque ces derniers refusent l’idée que les individus sont libres de se détacher de leurs finalités, valeurs, projets, il est évident qu’ils rejettent l’idée de la position originelle, donc du contrat.
Le rôle de l’État
Il semble convenir, avant d’élaborer sur les divergences de conception de l’État entre libéraux et communautariens, de préciser le concept de pluralisme. Il semble que libéraux et communautariens s’entendent pour dire que le pluralisme des conceptions de la vie bonne est une condition importante de réalisation de valeurs humaines. C’est grâce au contact fréquent avec la différence, que nous pouvons « espérer éviter la sclérose de nos propres conceptions ». Cependant, libéraux et communautariens divergent quant à savoir le rôle de l’État face à ce pluralisme. Selon les penseurs libéraux, l’État doit demeurer neutre devant le pluralisme des conceptions de la vie bonne. En effet, puisqu’ils conçoivent les individus comme des mois indépendants, capables de choisir leurs propres fins, l’État doit demeurer neutre par rapport à l’ensemble de toutes finalités. Le contraire reviendrait à imposer à certains les valeurs des autres, et cela contreviendrait avec la capacité de chaque personne à choisir ses propres fins. La conception communautarienne prescrit plutôt un État perfectionniste, c’est à dire, qui valorise une ou des conceptions du bien particulières. Selon eux, l’État nuirait aux intérêts des citoyens en ne contribuant pas à la promotion de ces conditions. Le « marché des idées » libéral, tel que le nomme Kymlicka, ne saurait protéger une conception du bien plus vulnérable par rapport à une conception du bien majoritaire. Ainsi pour les communautariens, « la justice sociale et les questions de sauvegarde des communautés culturelles ne peuvent être entièrement séparées ».

LES RAPROCHEMENTS
Il s’agit là, je crois, d’une mise en place des principaux points sur lesquelles libéraux classiques et communautariens divergent. Il convient maintenant de présenter les tentatives rapprochements faits, entre autres, par John Rawls et Charles Taylor. Dans Libéralisme Politique, Rawls reconnaît, à la lumière de la critique communautarienne, que sa conception de la personne morale dans Théorie de la justice était, malgré lui, substantielle. Le concept de la personne morale va alors prendre une toute nouvelle dimension. Rawls soutient qu’il faut comprendre la personne morale comme citoyenne. Cette conception politique de la personne n’exprime pas donc pas la nature réelle du moi. Selon Rawls, il est nécessaire de faire une distinction entre la personne privée et publique, puisque les démocraties occidentales sont marquées par une pluralité de conceptions métaphysiques. Devant ce pluralisme, l’espace politique citoyen représente le strict minimum nécessaire pour s’entendre sur des principes de justice pouvant gérer ces différends. La conception politique de la personne aura aussi des répercussions sur la manière de justifier la neutralité de l’État. Puisque les arguments en faveur du libéralisme sont maintenant politiques et non métaphysiques, Rawls justifie la neutralité de l’État en tant que tolérance face au fait que les membres des sociétés démocratiques sont en désaccord à propos du bien.
Cette insistance de Rawls à situer le libéralisme à l’intérieur du cadre des sociétés démocratique, m’apparaît aussi comme une concession majeure à la critique communautarienne. Cette concession s’exprime à deux niveaux. D’abord, Rawls soutient que la tolérance face au pluralisme n’est possible que dans une société démocratique occidentale. Il donne donc une propriété intrinsèque à la société démocratique occidentale, ce qui m’apparaît être un réflexe communautarien, soit de reconnaître des valeurs communes à une société. De plus, en limitant sa conception de la justice aux démocraties occidentales, il renonce à l’universalité de ses principes de justice et adhère donc à un certain relativisme. Voilà une bonne dose d’eau dans son vin!
Le philosophe communautarien Charles Taylor cherche aussi une voie médiane. Il distingue d’abord deux volets au débat entre libéraux et communautariens, l’un ontologique et l’autre normatif. Ontologiquement, il désigne la vision libérale de la personne par le terme d’atomisme et à la vision communautarienne de la personne par le terme holisme. Ensuite pour ce qui est du normatif, il distingue l’individualisme libéral du collectivisme communautarien. Ontologiquement, Taylor privilégie l’holisme. Il considère que nous ne pouvons exister à l’extérieur du dialogue continu mené avec les autres. Notre identité morale est donc tissée avec celle des autres. Normativement, il est d’abord d’accord avec les principes de justice de Rawls. De plus, comme Rawls, il considère que pour maintenir c’est principes, ils doivent être appliqué à l’ensemble de la société. Selon Taylor, la façon de s’assurer que les membres de la société vont respecter les principes de justice est de valoriser la liberté des Anciens afin que chaque citoyen soit une partie prenante de cette solidarité. Ce républicanisme n’est envisageable que dans une société où il y aurait un fort sentiment patriotique et, d’après Taylor, c’est la vision communautarienne qui peut assurer ce patriotisme. Dans ce cas, l’État devrait faire la promotion des valeurs communes. Ce rapprochement entre les principes de justice de Rawls et de la philosophie communautarienne souligne un aspect que j’aimerais relever de ce débat. Il est intéressant de noter que la critique communautarienne ne vise pas les principes de justice eux-mêmes, mais plutôt la méthode libérale de les justifier.


CONCLUSION
Le libéralisme classique et la philosophie communautarienne me semble à première vue irréconciliable, puisqu’ils ne conçoivent pas l’être humain de la même manière. Cette divergence ontologique a, comme nous l’avons vu, des conséquences majeures dans les applications normatives. Il faut donc se tourner vers le libéralisme politique de Rawls pour trouver un lieu potentiel de compatibilité. La force de la conception politique de la personne de Ralws est de prendre ses distances dans les débats métaphysiques. Distance qui m’apparaît nécessaire. Toutefois, le fait que Rawls dote le citoyen de l’autonomie rationnelle m’apparaît beaucoup présupposé. En effet, il me semble évident que nous sommes, en partie, déterminés par notre identité communautaire. La marque la plus fondamentale de cela est selon moi la langue. Imaginons que je constate qu’il y a une pluralité des conceptions métaphysiques dans ma société et que j’accepte de me concevoir comme citoyen pour réfléchir aux principes de justice devant gérer cette diversité. Évidemment, je ne suis pas libre de réfléchir dans une autre langue que ma langue maternelle ou, peut-être, une autre langue que je maîtrise. Bien sur, la langue n’est que le véhicule de mes idées et n’est pas le moteur de celles-ci. On pourrait donc supposer que la langue dans laquelle le citoyen réfléchit n’aura pas d’incidence sur les principes de justice qu’il choisira. Toutefois, l’existence de ce trait caractéristique intellectuel dont je ne peux me défaire m’amène à me demander s’il existe d’autres aspects de ma personne dont je ne peux me détacher et qui sont donc intrinsèques et originals à ma personne politique. L’existence de tels traits pourrait donc, me semble-t-il, influencer ma conception de la justice. En effet, s’il existe un pluralisme des conceptions du bien, il possible qu’il existe un pluralisme raisonnable des conceptions du juste. D’ailleurs, n’existe-t-il pas au sein même du libéralisme une divergence en ce qui a trait à la justice du principe de différence, jugé juste par Rawls? Cette possibilité d’une pluralité des conceptions du juste m’amène donc à penser que la position communautarienne, à savoir, que le bien précède le juste est défendable. Là où la position communautarienne me semble plus problématique, c’est lorsqu’elle dote l’État d’un perfectionnisme en faveur du bien commun. L’histoire parle d’elle-même lorsque le bien commun est injuste.


BIBLIOGRAPHIE

KYMLICKA, Will. Les théories de la justice ; libéraux, utilitaristes, libertariens, marxistes, communautarien, féministe..., traduit de l’anglais par Marc Saint-Upéry, Éditions du Boréal, 1999,

RAWLS, John. Théorie de la justice, traduit de l’américain par Catherine Audard, Paris, Seuil, 1997.

RAWLS, John. Libéralisme politique, traduit de l’américain par Catherine Audard, Presse Universitaire de France, 1993.

RENAULT, Alain. Libéralisme politique et Pluralisme culturel, Paris, Éditions Pleins Feux, 1999

SANDEL, Michel. Le libéralisme et les limites de la justice, traduit de l’américain par Jean-Fabien Spitz, Paris, Seuil, 1999.

WALZER, Michael. « La critique communautarienne du libéralisme », dans Libéraux et Communautariens, sous la dir. de André Breton, Pablo Da Silveira et Hervé Pourtois, Paris, PUF, 1997,

WEINSTOCK, Daniel.« Libéralisme, nationalisme et pluralisme culturel », dans Une nation peut-elle se donner la constitution de son choix?, sous la dir. de Michel Seymour, Montréal,
Éditions Bellarmin, 1992,

Friday, March 2, 2007

La personne morale de John Rawls

INTRODUCTION
John Rawls est un penseur libéral. Souvent, dans la pensée française, le terme libéralisme fait référence au néo-libéralisme donc à l’assujettissement aux lois du marché. Cette allusion prend souvent une forme péjorative. Toutefois dans la pensée américaine, le libéralisme évoque une philosophie valorisant les libertés individuelles et considérant que l’État doit protéger et discriminer favorablement les minorités. Toutefois, selon Rawls, c’est l’utilitarisme qui domine les sociétés démocratiques anglo-saxonnes et la manière dont leurs structures fondamentales sont organisées. L’utilitarisme suggère qu’une société est juste, quand ses institutions fondamentales sont organisées de manière à réaliser la plus grande somme totale de satisfaction pour l’ensemble des individus qui en font partie. Rawls cherche donc une procédure neutre menant à des principes justes qui pourraient organiser la structure de base d’une société de personnes libres et égales plus adéquatement que l’utilitarisme. Il pense y arriver dans ce qu’il appelle la théorie de la justice comme équité dont il fait état une première fois dans le livre Théorie de la justice et ensuite dans Libéralisme politique. L’objectif du présent travail est d’exposer les caractéristiques d’un concept important de la théorie de la justice comme équité, celui de personne morale, et ce, à l’époque de Théorie de la justice, de faire état de la transition vers Libéralisme politique et de le redéfinir selon Libéralisme politique. Dans le cas de la personne morale de Théorie de la justice, je procéderai par « entonnoir inversé ». C’est-à-dire que je commencerai par exposer simplement ce qu’est la personne morale, pour ensuite en déduire d’autres concepts importants de la théorie de Rawls comme la position originelle, la structure de base, les deux principes de justice et la société bien ordonnée. J’utiliserai la question de la stabilité comme concept charnière pour faire état de la transition vers Libéralisme politique en plus d’insister sur la critique communautarienne de la personne morale. De là, j’introduirai la personne morale comme personne politique et tenterai de présenter les changements de procédure qu’implique la redéfinition de la personne morale dans Libéralisme politique.

La personne morale
Un des principaux concepts de la théorie de la justice comme équité est celui de personne morale. Rawls entend par personne morale, que les individus d’une société démocratique se représentent comme libres, égaux, rationnels et raisonnables. Ils sont libres, car capables de réviser le contenu socio-culturel qui leur a été transmis. Égaux en ce qu’ils sont capable de contribuer à la vie sociale. Rationnels parce qu’ils sont aptes à agir en conformité avec leurs finalités, valeurs et projets. Raisonnables, puisqu’ils possèdent un certain sens de la justice. La notion de personne morale est centrale, car de ses caractéristiques découlent d’autres éléments procéduraux majeurs de la théorie de la justice comme équité. En effet, puisqu’ils ont un sens commun de justice (raisonnable), les personnes morales peuvent se pencher sur des questions de justice. Rawls précise que l’objet d’application des principes de justice est la structure de base d’une communauté nationale indépendante fermée, dans laquelle on entre que par la naissance et de laquelle on ne sort que par la mort. Rawls entend par structure de base, les institutions sociales les plus importantes qui répartissent les droits et les devoirs fondamentaux et qui déterminent la répartition des avantages tirés de la coopération sociale. Ensuite, le fait que les personnes morales soient rationnelles soutient un autre point essentiel de la procédure de Rawls, soit la primauté, en société, du juste sur le bien. En effet, la réflexion de John Rawls part de la constatation qu’il existe dans la société démocratique un pluralisme irréductible de conceptions raisonnables du bien. Devant cette pluralité, Rawls propose une procédure pour en venir à des principes de justice minimaux sur lesquelles tous peuvent s’entendre et qui serviront à gérer cette diversité. Donc, dès lors que tous sont rationnels et ont un projet de vie unique, cela les incite à percevoir la diversité des conceptions de vie bonnes. De cela découle la nécessité de reconnaître la primauté du juste sur le bien dans la détermination de principes de justice. Aussi, le fait que les personnes morales soient égales, assure en quelque sorte que les principes adoptés seront justes, car tous participent également à la société. Finalement, puisque les individus se représentent comme libres, donc antérieurs à leurs fins, ils ont la possibilité d’accepter ce que Rawls appelle la position originelle.

Concepts importants de la théorie de la justice comme équité
La position originelle est une condition hypothétique, non historique, qui demande aux personnes morales d’ignorer leur situation socio-économique lorsqu’ils délibèrent des questions de justice concernant la structure de base. Toutes les contraintes spécifiques de la position originelle sont désignées par le terme voile de l’ignorance, mais ne peuvent être énumérées ici. Pour Rawls, la position originelle est nécessaire, car elle sert à « invalider les effets de contingences particulières qui opposent les hommes les uns aux autres et leur inspirent la tentation d’utiliser les circonstances sociales et naturelles à leur avantage personnel ». En d’autres mots, si les individus ne savent pas comment les différents principes adoptés affecteront leur propre cas particulier, ils sont obligés de juger les principes sur la seule base de considérations générales. Rawls propose que si l’on se considère comme personne morale en position originelle et que l’on suit d’autres contraintes raisonnables de la procédure de la théorie de la justice comme équité, dont je ne peux malheureusement pas faire entièrement état ici, on en arrive à deux principes de justice. Le premier principe affirme que tous ont droit à un système de libertés de base égales pour tous. Rawls y inclut notamment les libertés civiques et politiques. Le second principe indique que les inégalités sociales et économiques sont acceptables dans la mesure où a) elles sont à la l’avantage de chacun ou b) qu’elles soient attachées à des positions ou des fonctions ouvertes à tous. En d’autres termes, nous pourrions dire que les inégalités sociales et économiques sont acceptables si elles maximisent la création de ressources, qui seront redirigées vers les plus démunis. Cela se nomme le principe de différence. Une fois les deux principes de justice déterminés les membres de la société doivent véritablement et sincèrement souscrire aux deux principes de justice. Cette condition de consensus sincère est implicite à ce que Rawls appelle la société bien ordonnée. En effet, la société bien ordonnée est la société idéale dans laquelle les deux principes de justice seraient appliqués à la structure de base afin de favoriser le bien de ses membres et où prévaut une conception publique de la justice. La condition de publicité se résume à ce que chacun accepte et sait que chacun accepte les mêmes principes de justice et où les institutions de base de la société satisfont, en général, et sont reconnues comme satisfaisants ces principes.
Rawls explique que la publicité des principes de justice sert à rendre la société bien ordonnée stable. Un système de coopération est stable quand « on y obéit plus ou moins régulièrement et qu’on se conforme volontairement à ses règles de base ». Rawls ajoute un autre argument pour soutenir que sa théorie est stable. Il affirme qu’une fois le voile de l’ignorance levé, les personnes morales ressemblent aux personnes réelles, selon trois lois psychologiques. Ces trois lois stipulent que les individus sont dotés d’une amitié civile (égal), qu’ils ont une estime d’eux-mêmes (rationnel) et qu’ils ont un sens de la justice (raisonnable). Cela enraye alors deux types d’instabilités relevés par Rawls, soit que les individus ont tendance à vouloir défendre leurs intérêts et qu’ils ont tendance à enfreindre les lois pour y arriver.

De Théorie de la justice vers Libéralisme politique
Toutefois, Rawls se révise. Il constate qu’en faisant reposer une partie de la stabilité de son système sur une théorie psychologique précise, parmi une diversité de théories psychologiques, il prend position dans un débat de points de vues raisonnables, ce qu’il ne veut pas faire. Il va donc, dans Libéralisme politique, remplacer les trois lois psychologiques par le concept de citoyenneté, sur lequel nous reviendrons plus loin. De plus, Théorie de la justice subit les critiques des philosophes communautariens au sujet de la liberté des personnes morales. Comme nous l’avons vu, Rawls affirme que les personnes morales se représentent comment libres, donc capables de réviser le contenu de leurs finalités, valeurs et projets. Or, pour les communautariens, il existe des « affections, des dévouements et des loyautés dont ils ne voudraient ni ne pourraient ni même ne devraient se distancier pour les évaluer objectivement ». En d’autres termes, les communautariens se définissent par leurs finalités, valeurs et projets et se considèrent comme incapables de même se représenter autrement. Ils accusent donc Rawls de prendre position dans le débat métaphysique opposant les communautariens aux individualistes, qui eux soutiennent que nous sommes antérieurs à nos fins. Rawls ne reste pas indifférent relativement à ces critiques communautariennes. Il écrit :

La position originelle ainsi que les partenaires qu’elle suppose pouvaient nous suggérer la présence d’une doctrine métaphysique de la personne à l’arrière-plan. [...] Je ne peux me contenter de simplement nier toute dépendance à l’égart de doctrines métaphysiques; il se peut, en effet, que, malgré moi, elle soient tout de même impliquer

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Libéralisme politique
Dans son ouvrage Libéralisme politique, Rawls reformule et modifie plusieurs des principaux concepts de Théorie de la justice, afin que sa théorie de la justice comme équité soit la plus neutre possible face aux débats métaphysiques et moraux. Le concept de la personne morale va alors prendre une toute nouvelle dimension. En effet, devant le pluralisme des conceptions métaphysiques, Rawls soutient qu’il faut admettre une personne morale citoyenne, qui représente le strict minimum nécessaire pour s’entendre sur des principes de justice pouvant gérer ces différends. C’est donc dire que le concept de personne morale se réfère non pas à la personne privée, mais à la personne politique. Le citoyen, ou personne politique, est doté des mêmes facultés que la personne morale de Théorie de la justice. C’est-à-dire que les citoyens sont libres, égaux, rationnels et raisonnables. Cependant, Rawls précise trois points vues selon lesquels les citoyens se considèrent comme libres. Premièrement, ils sont capables de considérer leur personne comme indépendante de toute conception particulière du bien. En deuxième lieu, les citoyens sont des sources de revendication valides. Finalement, les citoyens assument les conséquences de leurs actes. De plus, Rawls explique que les citoyens savent qu’ils font partie d’une société démocratique occidentale. En effet, Rawls suggère que la tolérance quant au pluralisme des conceptions métaphysiques n’a pu naître que dans une telle société. Donc, de ce passage de la personne morale à la personne politique découlent des conséquences significatives sur la position originelle. L’une d’elles est que Rawls renonce à la condition de l’universalité. En effet, une des contraintes de la procédure du voile de l’ignorance à l’époque de Théorie de la justice était que les principes obtenus devaient être universels. Toutefois, dans Libéralisme politique, puisque les principes sont établis par des personnes politiques sachant qu’elles font partie d’une démocratie constitutionnelle moderne, les principes de justices ne sont universels que pour les individus à l’intérieur de la société. Un autre changement important dû à la conception politique de la personne est que Rawls considère que les deux principes de justice devront faire l’objet d’un consensus par recoupement. C’est-à-dire qu’il faut trouver une intersection non vide entre tous les jugements bien pesés. En effet, dans la sphère politique il n’y a ni de vrai ni de faux seulement des consensus, donc pas de métaphysique.

CONCLUSION
C’est ce qui met un terme à ce travail qui cherchait à mettre en lumière les caractéristiques de la personne morale à l’époque de Théorie de la justice, de Libéralisme politique et de faire état de la transition entre les deux. Rappelons que pour Rawls, à l’époque de Théorie de la justice, la personne morale est une autoreprésentation de soi. Dans cette représentation, la personne est libre, égale, rationnelle et raisonnable. La liberté ici signifie que l’individu est antérieur à ses fins. Des caractéristiques de la personne morale découlent certaines contraintes de la procédure de Rawls. Une contrainte importante est possible grâce à la liberté. Il s’agit d’accepter la position originelle. La position originelle est une situation hypothétique dans laquelle la personne morale ignore sa situation socio-économique et cherche à trouver, selon des contraintes proposées par Rawls, des principes de justice destinés à s’appliquer à la structure de base d’une société. Cette procédure est nécessaire, car devant le pluralisme des conceptions du bien, Rawls considère qu’il faut trouver un moyen juste de gérer les différends. Toutefois, les philosophes communautariens critiquent la théorie de Rawls. Ils disent qu’eux sont incapables de se séparer de leurs fins et lui reprochent donc de prendre position dans le débat métaphysique les opposants aux individualistes. Rawls va alors, dans Libéralisme politique, spécifier que la personne morale est une personne politique. Que c’est justement devant le pluralisme des conceptions métaphysiques, qu’il faut concéder que la société doit trouver des principes minimaux pour s’entendre et que ces principes minimaux se retrouvent dans la personne citoyenne. Le citoyen possède les mêmes caractéristiques que la personne morale, mais est confiné à la sphère publique et non privée. De plus, Rawls précise que le citoyen fait partie d’une société démocratique occidentale. De cela découle plusieurs conséquences, dont celle que les principes devront faire l’objet d’un consensus par recoupement et non pas représenter une vérité. Cela résume assez bien, je crois, la question posée en introduction. Il existe toutefois plusieurs idées qui n’ont malheureusement pas pu être abordées ici. Les biens sociaux premiers, l’équilibre réfléchi, les contraintes du voile de l’ignorance, l’égoïsme, les questions de comparaison entre l’utilitarisme et le principe de différence, le contractualisme de Rawls en comparaison avec le contractualisme classique et le libéralisme de Rawls en regard du libéralisme classique. , il me semble fort intéressant d’approcher la théorie de la justice comme équité à partir du concept de personne morale et il apparaît y avoir là un point de départ fascinant pour approfondir la pensée rawlsienne.

Saturday, December 23, 2006

La rédemption : Patrice Chéreau et le final du Crépuscule des dieux

Introduction

Une des questions déterminantes lors de l’analyse d’une mise en scène lyrique est de savoir si cette dernière est fidèle, ou non, aux intentions du compositeur. Le musicologue Jean-Jacques Nattiez, dans son livre Tétralogies Wagner, Boulez, Chéreau : Essai sur l’infidélité, mentionne que « c’est au nom de cette infidélité des metteurs en scène au “Maître” [Wagner], que les scandales de Bayreuth ont toujours éclaté, et notamment celui de cette “Tétralogie du Centenaire” en 1976 ». Toutefois, pour pouvoir parler de fidélité à une oeuvre, il faut d’abord qu’il existe, et que l’on connaissance, un sens clair et précis qui correspond aux intentions du compositeur. Or, dans le cas de l’Anneau du Nibelung de Richard Wagner, rien n’est moins certain. Cependant, à la lecture d’un nombre assez important de commentateurs, il s’est dégagé une récurrence: l’importance de la rédemption dans le final du « Crépuscule des dieux ». À ce sujet, Jean-Jacques Nattiez mentionne, dans une entrevue accordée à LaScena Musicale, que la représentation scénique de la rédemption par Wieland Wagner dans le final de Tristan et Isolde était une réussite, alors que Patrice Chéreau avait gommé cette dimension dans son final du Crépuscule des dieux. Intrigué par cette déclaration, je me suis intéressé à la version de Patrice Chéreau de cette scène, pour essayer de comprendre comment ce dernier avait traité cette question de la rédemption dans son final. Afin de répondre à cette question, je ferai d’abord un historique de l’écriture du livret du Ring, en mettant un accent particulier sur l’écriture des dernières paroles de Brünhilde. Ainsi, une partie du sens du concept de la rédemption dans le final du Crépuscule sera dégagé. Ensuite, un survole de la conception générale du Ring de Chéreau et de son style mettra la table à une discussion sur le thème musical de la rédemption et son rôle dans la mise en scène de Chéreau.

PREMIÈRE PARTIE
Le Crépuscule des dieux et la rédemption

I. — LA GENÈSE DU TEXTE
1. — Les Wibelungen, histoire universelle tirée de la légende
À partir de l’année 1846, Wagner songe à écrire un drame centré sur la recherche du pouvoir universel. C’est à la fin de l’été 1848 que Wagner rédige l’essai Les Wibelungen, histoire universelle tirée de la légende. Il s’agit d’un texte qui se veut une synthèse de ses lectures historiques et mythologiques, ayant comme principaux pôles, l’histoire de Frédéric I, ancien empereur d’Allemagne et les Eddas. Selon Jean-Jacques Nattiez, malgré la matière trop vaste et confuse de ce travail, l’on y retrouve tout de même les premières idées qui sont à la source de la Tétralogie. John Deathridge soulève d’ailleurs que Wagner y compare Frédéric I à Siegfried en écrivant:

Quand reviendras-tu, Frédéric, toi glorieux Siegfried,
pour abattre le Dragon du mal rongeant l’humanité?

2. — Le Mythe des Nibelungen considéré comme esquisse d’un drame
Après avoir complété cette version des Wibelungnen, Wagner achève, le 4 octobre 1848, un deuxième essai: Le Mythe des Nibelungen considéré comme esquisse d’un drame. Cette fois, sa source principale est le poème folklorique Nibelungenlied. Nattiez explique que Le Mythe des Nibelungen est beaucoup plus court que les Wibelungnen, mais plus décisif, car quelques jours plus tard, soit le 20 octobre, Wagner écrit l’esquisse de la première version du Crépuscule des dieux, alors titré La Mort de Siegfried. Mentionnons, que dans cette esquisse on retrouve la première version des dernières paroles de Brünnhilde. Ces paroles diffèrent de celle du Crépuscule des dieux et nous verrons que Wagner changera à plusieurs reprises la fin de son oeuvre.

II. — LES PAROLES ULTIMES DE BRÜNNHILDE
1. — La Mort de Siegfried
Dès l’esquisse achevée, Wagner ne tarde pas à se mettre au travail. Du 12 au 28 novembre 1848, il écrit la version quasi définitive de La Mort de Siegfried. Ce Grand opéra héroïque en trois actes va alors prendre toute la place dans le processus créatif du compositeur . Notons que déjà les mots que place Wagner dans la bouche de Brünnhilde diffèrent de ceux de l’esquisse.
2. — La Mort de Siegfried révisée
Au début de l’année 1849, Wagner hésite à nouveau avec les derniers vers de son opéra. Il écrit dans une marge du texte original les mots suivants:

J’ai eu la vision d’une expiation bienheureuse pour les dieux
vénérables, éternellement unis dans la sainteté. Réjouissez-
vous : le plus libre des héros arrive. Sa fiancée l’amène devant
vous pour la salutation fraternelle.

Wagner ajoute dans l’autre marge l’esquisse ci-près:

Maintenant, celle qui a évité la faute s’en va, privée de pouvoir
Ce héros si joyeux qui est né de votre faute efface la faute par
la liberté de ses actes : la lutte pénible pour votre puissance
finissante vous est épargnée : pâlissez de béatitude devant
l’action de l’homme, devant le héros que vous avez engendré!
Je vous annonce que la bienheureuse rédemption par la mort
vous libère de cette peur angoissée.

Dans la première des deux citations ci-dessus, Édouard Sans décèle que « la prééminence du roi des dieux se trouve sensiblement réduite au profit du héros, très certainement sous l’influence des évènements politiques du moment ». D’ailleurs, dans deux articles alors anonymes et parus dans les Volksblätter de Röckel respectivement le 10 février 1849 et le 8 avril 1849, sous le titre la Révolution et l’Homme et la société établie, Wagner écrit que rien n’est supérieur à l’homme libre, et que l’ordre existant doit être bouleversé. Dans la seconde citation, la rédemption dans la mort est évoquée pour la première fois. Cette conclusion est généralement perçue comme « résolument optimiste, puisque Siegfried rédempteur évite aux dieux leur déclin et leur apporte le bonheur ».
3. — Le Jeune Siegfried, L’Or du Rhin, La Walkyrie
En 1851, sous les conseils de quelques proches, dont Franz Liszt, Wagner prend conscience que la Mort de Siegfried doit être précédée d’un drame : le Jeune Siegfried. Il en rédige le poème au début du mois de juin 1851. Puis de novembre 1851 à 1852, il écrit les esquisses et poèmes de l’Or du Rhin et de la Walkyrie, dans cet ordre. C’est en février 1853, que paraît le premier tirage complet de l’Anneau du Nibelung. Il est publié en cinquante exemplaires et destiné aux amis de Wagner.

III. — L’INFLUENCE DES PHILOSOPHES
1. — La rédemption selon Feuerbach
À partir de 1852, le poème de la Tétralogie semble enfin terminé. Toutefois, les dernières paroles de Brünnhilde vont une fois de plus être modifiées. Ces constants changements semblent pouvoir s’expliquer. D’abord, Édouard Sans situe la période allant de 1848 à 1854, comme étant un des temps forts dans l’évolution morale et intellectuelle du compositeur. À ce sujet, Serge Gut dit :
« Le christianisme assez flou de 1848 passe à un athéisme parfois virulent où l’idéal chrétien
est renié et où la révolution, la nature et l’amour sont glorifiés. Les dieux doivent disparaître
pour être remplacés par une humanité triomphante. Un monde athée, mais où l’amour règnera
sans partage, traduit la forte empreinte de Feuerbach ».

Jean-Jacques Nattiez explique que pendant cette période d’évolution, la signification que Wagner donne lui-même au Ring évolue et se transforme. Il ajoute que Wagner comprend « qu’il suffit d’en modifier le dénouement pour donner un sens autre et neuf à tout ce qui précède ». Voici donc un extrait de ce que Wagner fait dire à Brünnhilde, pour infléchir à son oeuvre un sens que les commentateurs appellent « feuerbachien »:

La race des Dieux a passé comme un souffle,
j’abandonne un monde sans maître; [...]
Ni la splendeur des Dieux, ni terres et châteaux,
ni fastes éblouissants, [...] ne donnent le bonheur:
seul l’amour rend heureux dans le ciel et dans la douleur.

Jean-Jacques Nattiez dit de cette strophe qu’elle est très évidemment feuerbachienne, car elle situe l’Amour et la Nature contre le pouvoir. C’est ce qu’il y a de fondamentalement optimiste dans cette version du final du Crépuscule des dieux : Wotan, et tout ce qu’il représente, a remplacé l’amour par la volonté de puissance. Les sacrifices de Siegfried et de Brünnhilde vont à leurs tours affranchir l’homme de la domination de l’or et de l’égoïsme. Alors, le règne de l’amour peut commencer. Nattiez complète en disant: « [Wagner] croit encore à la possibilité d’une humanité libérée et transfigurée par l’amour ».
2. — La rédemption selon Schopenhauer
En septembre-octobre 1854, Wagner lit l’oeuvre majeure d’Arthur Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation. Sous le choc de la « révélation schopenhauerienne », il reconsidère sa perspective générale du Ring. Il y a deux conséquences principales à cette relecture. D’abord, le personnage de Wotan prend une nouvelle dimension. Il passe d’un personnage symbolique et secondaire à un personnage central de l’histoire, ce qui déplace le centre de gravité de l’oeuvre de Siegfried vers Wotan. L’autre changement important concerne l’idée générale de la rédemption. Pour Lichtenberger, le raisonnement positiviste de la version Feuerbach semble être une concession faite par Wagner au penseur optimiste, « car dans le drame l’amour n’a jamais été qu’un facteur de catastrophe et de dévastation. Il suffit donc à Wagner de changer quelques vers pour retrouver l’unité du poème qui est incontestablement une unité pessimiste ». Wagner remanie seulement le premier acte du Jeune Siegfried et la scène finale de La Mort de Siegfried. Voici une partie de ce que Brünnhilde dit à partir de 1856:

Je quitte la demeure du désir,
je fuis à jamais la demeure des chimères; [...]
celle qui est illuminée, libéré des réincarnations
se dirige vers le pays choisi sans désir et sans chimère, [...]
Savez-vous comment j’ai conquis cette fin bienheureuse
de toute éternité? La douleur profonde de l’amour endeuilli
m’a ouvert les yeux: j’ai vu le monde finir.

D’après Sans, il s’agit bien là de la conception schopenhauerienne de la rédemption. Brünnhilde arrive à la connaissance par la douleur. Elle parvient à la libération intérieure des liens qui l’attachent à ce monde, grâce au martyre qu’elle a vécu. Nattiez souligne aussi que «l’allusion au cycle brahmanique des réincarnations, jusqu’à ce que la rédemption soit finalement trouvée, est évidente ». Cette version est mise en musique par Wagner, mais il remarque le 12 janvier 1872, que ce passage explicite aboutit presque au pléonasme, car le sens de ces vers est déjà exprimé dans la musique. C’est du fameux thème dit de la Rédemption par l’amour qu’il est question. Les paroles définitives de l’oeuvre sont donc celles de la version Feuerbach,
« laissant à la musique le soin d’exprimer toutes les autres composantes de l’atmosphère ».


DEUXIÈME PARTIE
Patrice Chéreau et la rédemption

I . — LA CONCEPTION GÉNÉRALE
1. — Le Ring
Pour l’homme de théâtre qu’est Chéreau, la première source d’inspiration est le livret lui-même. Ce que Chéreau voit tout d’abord dans le texte de Wagner, c’est une réflexion sur le pouvoir. Cette réflexion même que Wagner faisait lorsqu’il écrivait sa version d’optimiste révolutionnaire. Celle qui « annonce l’avènement d’une humanité heureuse et libérée grâce au sacrifice du héros ». Toutefois, Chéreau ne voit pas en Siegfried un héros rédempteur. Il dit plutôt : « où [est] le héros qu’on m’avait promis, quel [est] ce libérateur de l’humanité qui ne [libère] rien? ». Chéreau a donc perçu ce que Wagner a compris lorsqu’il a relu son Ring dans une perspective schopenhauerienne : le centre de gravité du Ring n’est pas Siegfried, mais Wotan. Chéreau a alors décidé de mettre en scène un mixte de ses deux constatations. Le Ring de Chéreau en est donc un centré sur Wotan selon Schopenhauer, mais incarnant le pouvoir, pour retrouver la dimension politique, qui est représentée dans le Ring selon Feuerbach. Cependant, Nattiez précise que le politique et le pessimisme que Chéreau met en scène ne proviennent pas de Feuerbach ni de Schopenhauer, mais de notre époque qui nous conduit à ces mêmes constatations.
2. — Le Crépuscule des dieux
Pour Chéreau, le Crépuscule représente une parjure de tous les autres opéras du cycle. Pour appuyer ses dires, Chéreau rappelle que Siegfried y est parjure de lui-même, trahissant l’épée, la lance et tout ce à quoi il croit. Chéreau conçoit donc le Crépuscule comme un monde où les valeurs n’existent plus. Le monde de cet opéra en est un où il est difficile de croire encore à quelque chose. Il s’agit d’un monde sans dieux (littéralement, car aucun dieu n’est vu sur scène), notre monde. Chéreau met donc en scène l’humanité, et ce, pour apporter sa réponse à « l’impasse dans laquelle se situait Wagner vingt-cinq ans après le début de la composition du Ring : que conclure? Comment conclure? ». J’y reviendrai.

II — LE STYLE DE CHÉREAU
1. — Décors, costumes et accessoires
En parlant des opéras de Wagner, les commentateurs font souvent référence à la “Zeitlosigkeit” ou atemporalité. Elle a été magistralement défendue dans les mises en scène de Wieland Wagner. Pour sa part, Chéreau dit ne pas comprendre cette notion. Pour lui, toute mythologie est d’une époque précise. Chéreau prend donc position et introduit dans son Ring des éléments du monde industriel de 1848, dont le célèbre barrage au début de l’Or du Rhin. Jean-Jacques Nattiez explique que Chéreau fait ce choix, « pour faire comprendre que le Mythe du Nibelung raconté à cette date concerne aussi cette époque-là ». Cette prise de position temporelle rappelle à l’auditoire que Wagner se servait des mythes pour parler de choses présentes. Dans le final du Crépuscule, cela se perçoit surtout dans le décor urbain représentant, en partie, les docks de New York et les costumes du peuple dont le style est de l’époque de Wagner. Toutefois, un costume diffère des autres dans ce final, celui de Brünnhilde. Cette grande robe blanche trop longue, aux manches ailées. Cette robe, bien que très belle, porte aussi un sens dramatique pour Chéreau. Pour le metteur en scène, la meilleure analogie pour représenter la walkyrie à ce moment est l’Albatros de Baudelaire. Elle est comme l’oiseau capturé par les marins. Brünnhilde n’a rien à faire dans ce monde, c’est un être empêché de vivre, nous dit Chéreau. Notons aussi que Chéreau utilise le voile blanc comme un symbole de la féminité.
2. — Brünnhilde
Ce que Jean-Jacques Nattiez nous dit au sujet des personnages de Chéreau, c’est qu’ils sont traités avec réalisme. Le réalisme dans les dernières paroles de Brünnhilde se retrouve, je crois, dans la subtilité des regards et des gestes qu’elle pose, et dans le naturel dans ses déplacements. Chaque mouvement qu’elle fait semble habité par une intention. Chaque geste et chaque pas de Gwyneth Jones portent un sens. Une autre part de réalisme paraît provenir de l’approche vocale. Plusieurs notes sont approchées d’abord avec une voix presque parlée et sans vibrato, puis vibrante. Cette approche donne au mot un sens clair et souligne l’intensité dramatique du texte, qui est, le moteur de la mise en scène de Chéreau. De ce fait, il n’est pas rare de lire que Chéreau donne à l’action dramatique préséance sur la musique, et ce, avec l’accord de Boulez.
3. — Quelques mots sur les didascalies
Chéreau ne fait pas fi de ce que Wagner a écrit dans la partition. Loin de là. À plusieurs endroits il fait exactement selon la volonté didascalique de Wagner. Par exemple, le moment où Brünnhilde attrape la torche et la manière dont elle la brandit respectent scrupuleusement la partition. Il n’en reste pas moins que la mise en scène est un art arbitraire et Chéreau a certainement pris des libertés quant aux images que le compositeur souhaitait voir sur scène. Il nous a, entre autres, épargné de voir Grane le cheval de Brünnhilde, qui est de toute façon trop souvent risible. Un point plus controversé est le retour des Filles du Rhin, mais sans le fleuve. Chéreau dit : « je n’ai jamais rien voulu savoir du Rhin qui déborde. Cela me semble un peu évacuer du Ring le retour à la nature.
4. — L’utilisation de la musique
Un pôle important de la mise en scène de Chérau est la musique elle-même. Patrice Chéreau utilise la musique, surtout les leitmotive, comme un élément participatif à l’action, « comme si les acteurs entendaient réellement le commentaire musical et réagissaient par rapport à lui ». Un bon exemple de cela dans le final est lorsque le peuple regarde le feu se propager au Walhalla. Jean-Jacques Nattiez souligne avec exactitude qu’à la première occurrence du thème du Walhalla, la foule recule une première fois, et se regarde avec étonnement. La seconde fois, la foule recule encore et s’anime. Et à la troisième occurrence du leitmotiv, le peuple panique littéralement devant la présence menaçante du monde des dieux en voie d’écroulement, et permettez-moi d’ajouter : devant l’inconnu et le vide qui se présente inévitablement à eux.

III. — LA RÉDEMPTION
1. — Le thème dit de la Rédemption par l’amour
Il existe une controverse chez les commentateurs afin de savoir quel nom donner à ce motif entendu pour la première fois à la fin de la première scène du troisième acte de la Walkyrie, lorsque Sieglinde dit : O sublime prodige, vierge merveilleuse. Puis qui réapparaît avec la dernière séquence musicale du long monologue de Brünnhilde, qui débute par : Grane, mon Grane. John Deathridge amène un argument solide pour un autre nom, celui de Glorification de Brünnhilde. Pour justifier sa position, il cite une lettre non publiée de Cosima Wagner au chimiste Edmund von Lippmann qui dit : « le motif chanté à Brünnhilde par Sieglinde est la glorification de Brünnhilde qui est repris à la fin de l’oeuvre, pour parler avec unité ».
On retrouve aussi dans le journal de Cosima un autre extrait datant du 23 juillet 1872, qui porte à croire que les intentions de Wagner avec ce thème sont de glorifier Brünnhilde : « Je suis heureux de m’être réservé pour la fin l’éloge que Sieglinde chante de Brünnhilde, pour ainsi dire le chant à la gloire des héros ». Si pour certains, changer le nom du thème ultime du Ring semble pouvoir avoir des conséquences majeures sur son interprétation, Serge Gut, à l’affût des arguments de Deathridge, dit : « en fait, ces divers noms ont tous la même signification : ils se rapportent à Brünnhilde et à l’action bienfaitrice de son sacrifice par amour ». Gut décide quant à lui de conserver le nom de Rédemption par l’amour.
2. — Le dernier tableau de Chéreau et la rédemption
Pour Chéreau, et Boulez, la fin du Crépuscule des dieux - et du Ring - en est une ouverte. Ce qui ne trahit en rien la propre perception de Wagner qui dit : « il n’y a pas de fin pour la musique, elle est comme la Genèse des choses ; elle peut toujours repartir au commencement, se transformer en son contraire, mais au fond elle n’est jamais terminée ». Pour illustrer cette ouverture, la dernière image de Chéreau dans la Tétralogie du Centenaire est admirable. C’est l’image d’une humanité composite formée de jeunes enfants et de vieillards, d’hommes et de femmes, d’ouvriers et d’hommes d’affaires, d’Allemands et de Juifs. Cette humanité devant un nuage gris, les cendres du monde qui passe, regarde l’auditoire, nous regarde, demandant : que faisons-nous maintenant? Je laisse le soin à Chéreau lui-même de parler de son final et du lien avec le motif de la rédemption:
« J’ai demandé que ces hommes et ces femmes, pendant longtemps dans ce spectacle tenus à l’écart des grandes décisions qui les concernent en dernière analyse, apportent le poids de leurs interrogations et de leurs doutes ; j’ai voulu qu’il écoute simplement la musique, que cette musique délivre un message, que la fosse d’orchestre, comme le gouffre fumant de Delphes, soit une crevasse qui profère des oracles qui seraient la Marche funèbre et le thème de la rédemption de la fin. [Le thème de la rédemption] est un message délivré au monde entier, mais, comme toutes les pythonisses, l’orchestre n’est pas clair et l’on peut interpréter son message de plusieurs façons. [...] Brünnhilde conclut bien en accusant Wotan, en le prenant à partie, en réhabilitant Siegfried, en révélant la grande tricherie criminelle dont elle est la première victime, [...] mais l’humanité, elle, n’a que deux morceaux où parle l’orchestre seul - puisque Wagner n’a pas mis en musique les mots qu’il avait écrits pour conclure - et où l’orchestre récapitules [...] les motifs qu’il y avait de tant espérer de Siegfried [...] et, pour finir, reprend le thème avec lequel Sieglinde avait salué la naissance d’un nouvel homme libre - son fils. Or justement, ce thème, on l’a déjà entendu, il a déjà annoncé Siegfried, et l’on sait maintenant ce qu’il en est devenu: peut-on le réentendre innocemment [...]? [...] Ne doit-on pas l’entendre avec méfiance et inquiétude, une méfiance qui serait à la mesure de l’immense espoir que porte aussi cette humanité qui a toujours été l’enjeu muet et invisible des combats atroces qui ont déchiré les êtres tout au long du Ring? Les dieux ont vécu, les valeurs du monde sont à reconstruire et à réinventer : les hommes sont là comme au bord d’un gouffre, ils écoutent tendus, cet oracle qui sourd des profondeurs de la terre ».


Conclusion
À la lumière du présent texte, c’est Édouard Sans qui donne, à mon avis, le meilleur résumé du parcours sémantique de la rédemption dans le final du Crépuscule des dieux en écrivant :
« Dans la première idée du compositeur, il s’agissait de montrer comment la lutte des égoïsmes et des appétits rend le monde mauvais, et comment l’amour seul peut jeter les bases d’un monde futur, fondé sur la liberté et la fraternité. Désormais, il admet que l’égoïsme est l’expression même de la Volonté dans les divers degrés de son objectivation, et que seule la négation du Vouloir-vivre amène la solution définitive, le retour au néant. Ainsi Wagner, à l’aide de la philosophie de Schopenhauer, reconnaît que ce n’est pas le monde où nous vivons qui a besoin d’être sauvé, mais le monde tout court. C’est l’existence même qui a besoin de rédemption ».
Cette explication est claire, mais est-elle vraiment définitive? Wagner n’a-t-il pas supprimé la version selon Schopenhauer? Certes, il évoque le pouvoir qu’a sa musique à exprimer ce sens, mais la musique est-elle si claire? Si elle l’est, alors pourquoi toute ces exégèses différentes et ces disputes sur le seul nom d’un thème? Après tout, Wagner lui-même a changé sa propre interprétation de son oeuvre à plusieurs reprises! Bref, pour des raisons sémiologiques exposées dans le livre Tétralogies Wagner, Boulez, Chéreau : Essai sur l’infidélité de Jean-Jacques Nattiez, il est fort probablement impossible de trouver le sens exact du Ring et de son final. C’est, je crois, la constatation que fait Chéreau quand il dit que le final du Ring est un oracle qu’il faut écouter, et en comprendre le sens, ou pas. C’est une fin qui n’en est pas une, puisque tout peut recommencer. La réponse scénique du metteur en scène à cette ambiguïté est l’ambiguïté. Est-ce que la rédemption est pour autant évacuée de sa mise en scène? Je crois que non. Toutefois, en mettant en scène une humanité semblable à nous, nous fixant du regard et nous demandant : qu’allons-nous faire? Chéreau nous présente un visage de la rédemption que nous ne connaissions pas, une rédemption qui dépend de nous.

BIBLIOGRAPHIE


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CHÉREAU, Patrice. « Lorsque cinq ans seront passés », dans Histoire d’un “Ring” : Der Ring des Nibelungen (l’Anneau du Nibelung) de Richard Wagner, Bayreuth 1976-1980, avec la
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